La frontière était visible, le vieux chêne aussi. Après avoir essuyé la sueur à la racine de mes cheveux, j'ai regardé par-dessus mon épaule. 

Alors que j'étais poursuivie, des griffes bruyantes et tonitruantes ont claqué contre le sol et ont fait craquer les feuilles en dessous. Un gémissement s'est échappé de mes lèvres. Puisque la meute ne devait pas aller pas plus loin que la frontière, je savais que l'arbre serait mon abri. Il me fallait juste l'atteindre à temps.

En voyant l'un des loups se rapprocher, j'ai pris un virage serré et j'ai sauté par-dessus un arbre qui était tombé.

Étant des alphas et des bêtas, mes assaillants étaient plus rapides et plus forts que moi. Cependant, j'avais assez d'agilité et d'expérience. En plus, ma taille inférieure à la leur avait un certain avantage. Je savais comment esquiver des coups, prendre des virages serrés et sauter par-dessus les obstacles plus rapidement que les alphas et les bêtas.

Soudain, un loup plus effrayant a failli me mordre la jambe. Ses griffes qui se sont enfoncées profondément dans ma jambe m'ont fait tomber sur le visage.

"Ah !" me suis-je écriée au moment où une douleur aiguë s'est emparée de ma jambe droite.

Pendant la seconde durant laquelle j'ai jeté un coup d'œil à mon mollet, mon pas a faibli. Du sang a coulé de l'entaille profonde créée par des ongles lacérés. La sensation de brûlure m'a fait pleurer. Je pouvais sentir se rapprocher les loups, qui n'avaient pas la moindre intention de ralentir.

Les yeux fermés, j'ai pris une profonde inspiration. Je me suis servi de l'adrénaline qui a parcouru mon corps pour me lever et courir.

Même si je l'ai fait de justesse, j'ai failli heurter un tronc gigantesque. 

Voyant cela, je me suis retournée et je me suis arrêtée net. Si les loups venaient à traverser la frontière, ils me tueraient en quelques secondes. Je n'avais pas la moindre chance de pouvoir supporter plus longtemps la douleur que je ressentais à la jambe et le feu brûlant dans mes poumons.

Lorsque j'ai vu les loups menaçants s'arrêter brusquement au point d'empiler leurs membres les uns sur les autres, j'ai ressenti un mélange étrange de joie, de soulagement et d'épuisement. En entendant leurs aboiements confus, j'ai presque pleuré.

Après être tombée par terre, appuyée sur l'arbre qui m'abritait, je me suis agrippée à ma jambe des deux mains, et j'ai tenté désespérément de reprendre mon souffle. Pendant ce temps, l'amas d'alphas et de bêtas s'est lentement démêlé, permettant au chef de file de passer à travers.

"Si je te surprends encore à rôder sur notre territoire, je t'arrache la tête, c'est clair ?" a-t-il dit d'une voix si profonde et intense qu'elle a fait vibrer le sol sous mes pieds

Soudain, je me suis réveillée en sursaut et j'ai regardé autour de moi. J'ai alors constaté que j'étais dans ma chambre. La poitrine gonflée, j'ai haleté en essayant d'avaler ma salive. Les yeux fermés, je me suis accordé quelques secondes pour respirer et j'ai pris un bain de soleil matinal. Quelques mèches de cheveux se sont accroché à mon front en sueur.

J'ai encore fait ce maudit rêve.

Je n'ai même pas su pourquoi je n'arrêtais pas de faire le même rêve. Qui étaient ces gens ? Et pourquoi m'ont-ils poursuivie ?

Il existe trois classes dans ce monde : les alphas, les bêtas et les omégas. Au sommet de la chaîne se trouvent les alphas qui sont considérés comme une race supérieure dans tous les domaines. Les bêtas sont les seconds de cordée. Puis vient ma race faible, les omégas. Nous sommes vus, mais personne ne nous écoute. Sans compter que les alphas nous traitent comme des machines à procréer et des esclaves sexuels. Seuls les omégas de l'élite sont respectés. Les alphas et les omégas ont plus de chances de produire un alpha pur, c'est-à-dire une personne qui hérite de tous les gènes dominants de l'alpha et qui pourra s'accoupler avec des omégas. Il arrive très souvent que les bêtas et les alphas se marient.

Personne ne se souciait d'un oméga faible et pathétique comme moi. Qu'y avait-il de mal à être un oméga ? Après tout, ce n'était pas ma faute si j'en étais un.

Pendant que cette pensée trottait en moi, j'ai poussé un soupir.

Jamais pareille réflexion n'a produit de bons résultats. J'ai ôté les draps qui couvraient mon corps et je me suis levée. Je devais faire mon lit avant de sortir. Sinon, ma mère me ferait passer toute la journée affamée.

Une fois ma chambre impeccable, j'ai fermé la porte de ma chambre et j'ai descendu les escaliers.

Alors que je me tenais sur le bord de l'escalier, j'ai entendu la voix de mon père résonner et demander : "Et celui-là ?" Essayant de ne pas me faire prendre, j'ai retenu mon souffle.

Puisque ma sœur a vingt-et-un ans, comme le voulait la tradition, elle devait se marier.

Puis j'ai entendu ma mère reprendre mon père : "Non, il a presque trente ans, Frank. Il est un peu trop vieux pour ma fille. Cara a besoin d'un alpha de la meute qui est attirant et riche. Ce type n'a rien de tout ça. Il a même l'air brutal."

"Eh bien, c'est un alpha, chérie. On est tous un peu brutaux", a rétorqué mon père en poussant soupir d'épuisement.

Cela faisait déjà quelques mois qu'ils essayaient de trouver un alpha qui conviendrait à ma sœur.

"Mais voyons, tu ne ferais pas de mal à une mouche !" a rétorqué ma mère. "Tu n'es pas aussi coriace que tu le prétends. Comme Cara est un peu sensible, je ne veux pas qu'un alpha rude l'effraie. Elle a besoin de quelqu'un d'un peu plus doux."

"Et notre Rose alors ? Il lui faut un compagnon pour se stabiliser."

Quand j'ai entendu parler d'un compagnon pour me stabiliser, mes joues ont rougi. Comment leur dire que j'ai déjà trouvé le bon, celui qui me traite bien et me fait oublier tous mes chagrins et douleurs ? Je n'ai pas pu me montrer que déjà, la voix aiguë de ma mère a percé mes oreilles

Alors qu'elle s'est emportée et a dit : "Il fallait que tu pourrisses l'ambiance ! Je n'ai que faire d'elle. De plus, qui fera notre travail si elle se marie ? Pense comme un alpha !"

En entendant cela, j'ai pleuré et repensé au fait que j'ai failli partager avec eux ma grande nouvelle. Comment pouvait-elle être aussi cruelle ? 

"Mary, ça suffit ! Elle est aussi notre fille, nous devons donc nous soucier d'elle. Surtout qu'elle n'a qu'un an de moins que Cara."

Après avoir grossièrement essuyé les larmes qui dégoulinaient sur mes joues, j'ai reniflé discrètement et cligné des yeux. Puis j'ai fait exprès de faire un bruit avec mes pieds et j'ai toussé avant de sortir. Avec quatre yeux fixés sur moi, je me suis dirigée vers la cuisine sans rien dire. La boule logée dans ma gorge m'a empêché de prendre la peine de les saluer.

"Bonjour, Rose." Quand j'ai entendu la voix de mon père, je me suis arrêtée.

En regardant par-dessus mon épaule, je lui ai répondu par un signe de tête.

Les lèvres tordues, ma mère a lancé : "Regarde comment elle se comporte ! Elle ne prend même plus la peine de nous dire bonjour."

"Ne commence pas, Mary. Il est encore trop tôt. Elle vient juste de se réveiller."

"Peu importe", a dit ma mère en levant les yeux au ciel avant de se tourner vers les dossiers empilés sur la table.

Quand je me suis dirigée vers la cuisine, ils ont continué à parler.

Penchée sur l'évier, je me suis lavé le visage à l'eau froide et j'ai pris une grande inspiration. En gardant à l'esprit que je ne pleurerai plus, j'ai commencé en faire le petit déjeuner pour nous tous comme d'habitude.

***

Le soir, dès que j'ai été sûre que mes parents étaient partis prendre le thé du soir avec les voisins, je suis sortie en douce. Quant à ma sœur, elle étudiait l'économie dans l'université la plus prestigieuse de notre ville et n'était pas encore de retour. Ses cours se terminaient à une heure tardive, dix-neuf heures plus précisément. Je n'avais aucune idée de comment cela fonctionnait parce que pour mes parents, l'enseignement secondaire m'était pleinement suffisant.

Soudain, j'ai entendu quelqu'un m'appeler de loin : "Rose !"

Quand je me suis retournée, j'ai vu mon alpha, Zain. J'ai alors fait un large sourire. Les yeux rayonnants et scintillants à la lumière des lampadaires, il m'a fait signe de la main. Comme mes parents n'aimaient pas Zain, nous ne nous sommes pas retrouvés chez moi. Malgré l'amitié que nous avions entretenue au lycée, mes parents détestaient sa famille.

Quand nous l'avons appris, chacune de nos rencontre est devenue un défi. Malgré ça, Zain a trouvé un moyen. Depuis déjà quatre ans, nous nous rencontrions au même endroit où nous restions assis sur le même banc jusqu'à ce qu'il soit trop tard.

Avec un sourire timide, je me suis assise sur le banc vide et je lui ai fait de la place en disant : "Salut."

Ses yeux rivés sur mon visage se sont rétrécis. Puis il a expiré et m'a demandé : "As-tu encore pleuré ?"

La bouche ouverte, j'ai immédiatement couvert mon visage de mes mains. Comment l'avait-il découvert ? J'ai pourtant pris soin de me laver les yeux aussi.

Il s'est léché les lèvres et a ajouté : "Tes yeux disent la vérité même quand tu ne le fais pas."

J'ai détourné mon regard au lieu de me concentrer sur mes vieilles chaussures de sport posées sur le grill. J'avais parfois horreur qu'il fasse ça. Mais là encore, puisque Zain me connaissait trop bien, je n'ai pas pu lui cacher quoi que ce soit.

En caressant ma joue avec son pouce, il a incliné ma tête vers lui et a dit : "Un jour, je t'emmènerai loin de tout ça."

Le cœur plein d'espoir, j'ai pensé au fait que nous ne parlions de notre relation à personne à cause de mon âge. À vingt-et-un ans, je découvrirais si Zain était vraiment mon alpha ou non. Parfois les gens ont de la chance et finissent avec leur petit ami. Par contre, d'autres doivent continuer avec leur compagnon.

Sachant que Zain attendait la même chose, nous avons décidé de rester ensemble même si nous n'étions pas destinés l'un à l'autre. C'est pour cette raison qu'il faisait des heures supplémentaires au travail pour m'emmener loin de ma famille.

"Et j'y compte bien."

***