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     - Regarde mon amour, dis-je en souriant. On est chez moi.

     Après tout ce temps je suis de retour à la maison, chez moi. Cela me fait bizarre d'être ici. Si cela ne tenait qu'à moi, je ne reviendrais jamais dans ce pays. Je repense à trop de choses auxquelles je ne devrais plus penser. Mais à quoi bon fuir le passé ? Peu importe où je suis, je ne fais qu'y penser. Et là, je suis obligée de revenir là où tout a commencé. J'y suis obligée...

     J'aperçois mon petit frère qui essaie de me repérer dans la foule de nouveaux arrivés. J'essaie tant bien que mal de m'extirper de cette foule puis, lorsque je suis dehors, devant l'aéroport, j'appelle mon petit frère.

  - Hey Ihsan !

  - Oui oukhti, t'es où ?

  - Je suis sortie de l'aéroport. Viens à l'entrée, là où il y a plein de taxis garés.

  - D'accord.

     Cela fait près de quatre ans que je n'ai pas vu mon frère. Il doit avoir dix-neuf ans à présent. Il est devenu tellement grand !

  - Hey toi, t'as pas le droit d'être plus grand que moi, boudé-je.

  - Bonjour à toi aussi. Ça va bien merci et toi ?, fait mon frère en tirant la gueule.

     Lui et moi avons toujours été très complices. On s'amusait toujours à se défier par nos tailles. Il y a environ trois ans, j'étais encore un peu plus grande que lui. À présent, il est devenu tellement grand qu'on dirait que c'est mon aîné au lieu de l'inverse.

  - C'est bon ! On peut y aller maintenant ? En plus t'es mal poli. T'es même pas fichu de porter ma valise.

  - Relaxe grande soeur, rit-il. C'est moi ou t'es encore plus casse pied que d'habitude ?

  - Tu vas faire vite oui ? Je suis crevée..., râlé-je.

  - D'aaaccoord, dit-il en levant les mains avant de prendre mes valises et de les porter jusqu'à sa voiture.

     Le trajet de l'aéroport à la maison se fait dans un silence reposant. Ces heures passées dans l'avion m'ont achevée. Dès que j'arriverai à la maison, je prendrai une bonne douche et irai me coucher. Je verrai tout le monde demain. Voir le paysage si familier d'Alger m'avait manquée plus que je ne le croyais. Je sortirai peut-être ce soir pour faire les cent pas. Histoire de me réintégrer un peu.

     La voiture se gare devant la maison de ma grand-mère. Je me sens tout à coup nostalgique. J'ai vécu tant de choses dans cette maison ! Comment ai-je pu penser un instant que je n'y reviendrais jamais ?

  - Alors Amber, tu sors ou... ?, demande Ihsan en me tenant la porte.

  - Amber, Amber, Amber..., entends-je crier depuis la maison.

     Ce sont sûrement mes petites soeurs. De vraies chipies mais je les aime comme pas possible. Je sors de la voiture et suis directement accueillie pas l'embrassade de Kenza, ma petite soeur de neuf ans suivie de Bakhta, treize ans. Elles m'avaient tellement manquée ! J'en ai les larmes aux yeux.

  - Oh les hormones, souffle Ihsan.

  - Les filles, faites attention à votre soeur. Vous voyez l'état dans lequel elle est, fait ma grand-mère en arrivant.

     Mes soeurs se dégagent immédiatement et touchent mon ventre arrondi.

  - Il y a un bébé dedans ?, demande Kenza de sa voix déjà rauque.

  - Oui, répond Bakhta.

  - C'est bon, allez lui chercher de l'eau maintenant au lieu de la fatiguer encore plus, gronde ma grand-mère.

     Elle s'approche de moi vêtue d'un Abaya bleue marine et d'un voile beige. Elle pose sa main marquée par l'âge sur ma joue et me sourit tendrement. Son sourire m'avait manquée. Elle m'a beaucoup manquée. J'ai passé le clair de ma vie avec elle. Elle était plus ma mère que ma mère ne l'était. Je lui souris à mon tour avant de l'étreindre longuement. Je prends sa main et la pose sur mon ventre puis chuchote :

  - C'est ton arrière-grand-mère mon amour.

     Je le sens remuer dans mon ventre. C'est tellement émouvant ! Je sens qu'il l'aime déjà. Nous entrons enfin dans la maison et mes soeurs ainsi que ma cousine Rahma se pressent pour me donner de l'eau à boire. J'en bois de longues gorgées avant d'aller dans ma chambre. Elle n'a pas du tout changé  depuis la dernière fois. Mon grand lit, ma télé et mon ventilateur sont toujours là, c'est le principal. Je me déshabille puis vais dans ma salle de bain. Je fais couler un bain chaud puis m'y allonge. C'est tellement apaisant. Ce temps passé dans l'avion était juste épouvantable. Je sors de ma salle de bain une trentaine de minutes plus tard dans mon peignoir et vais prendre une serviette pour me nettoyer le corps. Je vais ouvrir ma valise pour en sortir une robe ample que je mets avant d'aller m'allonger sur mon lit tout confortable. Confortable mais vide. Du vide. C'est tout ce que je ressens depuis trois années. Arriverai-je jamais à dépasser tout ce qui s'est passé ? Pourtant j'y pense à chaque instant. Il est toujours présent quoi que je fasse. Mais j'aimerais tellement qu'il n'occupe plus mes pensées ! Je me sentirais tellement mieux si cela était possible. Mais je n'y arrive pas. J'ai essayé mon possible, plus que ce qui est permis à un être humain de faire, mais rien n'y fait. Il est toujours là à me hanter l'esprit, à me tourmenter. Voilà que je recommence à pleurer. Je ne fais que pleurer depuis trois années. Tout ce temps passé mais rien de changé. J'ai toujours aussi mal. Mais mon bébé est mon salut. Je me consacrerai uniquement à lui. Il sera mon rayon de soleil dans les ténèbres qu'est devenue ma vie. Mon Sufyan...

  - Tu es mon salut mon amour, murmuré-je en caressant mon ventre avant de sombrer dans un sommeil.

     Je suis réveillée par des coups à la porte. Il est déjà tard. Je me lève tant bien que mal... J'ai le dos en compote. Je vais ouvrir à ma soeur Kenza qui vient m'annoncer que le dîner est prêt. Je fais un chignon avec mes cheveux et vais rejoindre tout le monde à table.

     Le dîner se passe dans un silence de mort. Même Kenza ne fait aucun bruit. Je suis bien de retour à la maison.

     Après le dîner, je vais me brosser les dents et me changer. Je porte à présent un Caftan simple beige avec un hijab noir et des sandales. Je vais prévenir Grand-man que je vais faire une petite promenade et sors avec Ihsan.

     Nous marchons pendant environ vingt minutes où je redécouvre ma ville natale. Les choses ont bien changé depuis trois ans. Plus de buildings, plus de maisons, plus de circulations, de routes... Les enfants ont grandi...  C'est réchauffant tout ça. Mon frère me raconte comment l'épicier Salim a eu une grande commande un jour puis s'est vu projeté dans une vie pleine de billets ; il dirige maintenant un bon restaurant qui a beaucoup de succès. Nous allons y faire un tour. C'est un restaurant tout à fait charmant. Dieu l'a bien aidé.

     Après y avoir pris du jus d'orange avec mon frère, nous décidons de rentrer à la maison. Je suis un peu fatiguée. Dès que je sors du restaurant, je l'aperçois. Il est là. Il sort d'une voiture... Une BMW très chic. Malgré le fait qu'il soit de profil et que la lumière des lampadaires soit tamisée, je sais que c'est lui. Il n'a pas beaucoup changé. Il a juste gagné un peu de poids. Les choses ont bien évoluées pour lui aussi, vu la voiture de laquelle il vient de sortir et le costume très élégant qu'il porte. Il a bien réussi sa vie. Il a sûrement dû réaliser tous ses rêves à présent. Je me souviens de ce qu'il disait toujours.

" Je deviendrai très riche et très connu. Mes textes seront connus du monde entier. Tout le monde chantera mes chansons. C'est mon objectif "

     Il a atteint son objectif. Je ne peux m'empêcher de sourire à cette pensée. Il a toujours été si déterminé, si sûr de lui... Malgré le fait qu'il n'avait rien et que la vie n'ait pas été tendre avec lui, il a toujours su qu'il y est arrivera. Et voilà, il y est arrivé.

     Il ne m'a pas vu. On est assez loin l'un de l'autre de toute façon. Il contourne la voiture et va ouvrir le côté passager. Une femme en sort. Tout ce que je peux voir, c'est qu'elle est brune et grande. Elle porte une robe rouge qui scintille. Lorsqu'il se penche pour l'embrasser, mon coeur se serre, ma vision se brouille.

" Je t'embrasserai n'importe quand et n'importe où, même lorsqu'on sera dehors, au vu et su de tous... Parce que tu seras ma femme à moi "

J'ai la nausée, j'ai envie de pleurer. Je ravale tout et commence par me diriger vers la maison. Je cours presque... Je m'enfuis... Je me sauve de lui... J'ignore les questions de mon frère. J'ai juste envie d'aller me blottir dans mon lit et faire sortir tout ce qui vient de remonter à la surface.

  - Amber !

     Je me fige lorsque j'entends sa voix prononcer mon nom. Il m'a reconnue. Je ne peux plus bouger. Je suis totalement paralysée. Ihsan me demande ce qui se passe mais je suis incapable de lui répondre. Puis comme dans un rêve, je le vois devant moi. Toujours aussi grand que dans mon souvenir. Sa taille imposante m'a toujours fascinée. Cette nuit pourtant, j'en tremble. Toujours aussi sérieux dans le regard. Sa barbe est mieux soignée et plus dense.

     - Amber, c'est vraiment toi. Je n'arrive pas à y croire, dit-il dans une voix à peine audible.

     Il est aussi choqué que moi. Il ne s'y attendait pas. Il me fixe un moment. Un long moment où nous ne sommes plus que deux au monde, où tous nos sentiments reviennent de plein fouet, où cet amour si nocif qui nous liait est tellement palpable que c'en est effrayant. Je prends un grande inspiration et reviens à la réalité.

  - Comment vas-tu ?, demandé-je.

  - Ça va et toi ?, fait-il.

  - Ça va.

  - Tu es revenue quand ?, demande-t-il.

  - Aujourd'hui.

     Je ne sais pas comment me comporter. Tout ce que je veux c'est disparaître. Je baisse mon regard et tombe directement sur une petite fille très mignonne. Elle est à côté de la femme que j'ai aperçu plus tôt avec lui. Elle me sourit et je me sens mal à l'aise.

  - Bonsoir. Moi c'est Zahra, fait-elle.

  - Oh désolé. J'ai oublié de vous présenter. Zahra voici Amber une... ancienne amie. Amber, j'te présente ma femme Zahra.

     Sa... femme. Il s'est donc marié ! Les larmes me montent aux yeux mais je fais un effort pour ne verser aucune larme. Il me fixe attentivement. Il sait que je suis très émotive. Il a peur que je  fonde en larme devant sa femme.

  - Enchantée, finis-je par dire. Mon frère Ihsan.

  - Salut, fait ce dernier.

  - Salut, fait le couple en face de nous.

  - Et qui est cette beauté que je vois là ?, demandé-je en désignant la petite fille avec eux.

  - C'est notre fille Neyla, répond Zahra.

  - Elle a quel âge ?

  - Deux ans. Bientôt trois.

     Et là je comprends. Tout est clair à présent. Je croise son regard désolé. Il sait. Il sait que j'ai compris. C'était donc ça ! Il m'a quittée pour elle. Il m'a complètement détruite à cause d'elle. Moi qui croyais que je ne pouvais pas souffrir davantage, j'avais tout faux. La douleur qui me frappe est tellement grande. Je la sens jusque dans mes entrailles. Je manque de tomber quand des mains m'attrape de justesse. Je ne sais pas à qui elles appartiennent. Tout ce que je ressens c'est une douleur atroce dans mon ventre. Je crie.

- Mon bébé... Mon bébé...

  - Elle est enceinte ?

  - Oui. Emmenons-la vite à l'hôpital.

    Mon bébé... Mon amour... Mon salut... Mon Sufyan... Ne me laisse pas je t'en supplie. Ne me quitte pas... Reste avec moi... Pour l'amour de Dieu... Ne me laisse pas... Mon amour...

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